
Avec Certains l’aiment chaud, Billy Wilder signe une comédie au classicisme trompeur, une œuvre vertigineuse où le burlesque côtoie le subversif, et où le rire masque en permanence une critique acide des normes de genre, du désir et de l’identité. Derrière le rythme effréné des dialogues, les situations rocambolesques et le comique de travestissement, le film s’impose comme l’un des plus brillants exercices d’équilibre du cinéma hollywoodien : chaque plan semble léger, mais chaque idée est lourde de sens.

Joe et Jerry, musiciens en fuite après avoir été témoins d’un massacre mafieux, se déguisent en femmes et rejoignent un orchestre féminin. Sous les traits de « Josephine » et « Daphné », Tony Curtis et Jack Lemmon trouvent un espace de liberté ambigu, qui devient progressivement plus qu’un simple camouflage. Le film joue avec les codes du vaudeville et du slapstick, mais pour les déjouer avec une finesse remarquable. La frontière entre jeu et transformation s’efface peu à peu : Jerry, notamment, commence à se prendre au jeu d’être Daphné, jusqu’à accepter, avec un plaisir troublant, une proposition de mariage d’un millionnaire vieillissant. La fameuse réplique finale – « Nobody’s perfect » – résume toute l’ironie et la modernité du film : derrière la plaisanterie, une remise en cause radicale des normes sexuelles et sociales.

La mise en scène de Wilder est d’une précision millimétrée. Chaque mouvement de caméra, chaque coupe, chaque gag visuel s’intègre à un ensemble d’une fluidité rare. Le noir et blanc, imposé par le réalisateur contre la volonté du studio, donne une cohérence esthétique au film, renforçant son statut de faux objet rétro — un pastiche des années 1920 qui parle bel et bien de son propre temps, celui des années 1950, mais aussi du nôtre. Wilder détourne le cadre de la screwball comedy pour y injecter une charge subversive, dissimulée derrière le charme et la loufoquerie.

Marilyn Monroe, dans le rôle de Sugar Kane, incarne à la fois l’archétype de la blonde ingénue et sa réinvention. Elle est à la fois objet de désir et sujet tragique, figure fragile prise dans le fantasme masculin, mais douée d’une grâce sincère et mélancolique qui dépasse la caricature. La scène où elle chante « I Wanna Be Loved by You » est emblématique : le film suspend son rythme, ouvre un espace d’émotion pure, et rappelle que Certains l’aiment chaud ne se réduit jamais à son humour.

Derrière ses apparences de comédie légère, le film propose une véritable réflexion sur l’ambiguïté identitaire, la performativité des genres, le travestissement social et amoureux. En cela, il anticipe de nombreuses interrogations contemporaines, tout en conservant une joie de mise en scène, un sens du tempo comique et une intelligence scénaristique qui en font une œuvre indémodable. Wilder ne cherche pas à moraliser, mais à complexifier. Il filme la liberté non comme une leçon, mais comme un carnaval jubilatoire. Un chef-d’œuvre d’insolence douce et de subversion rieuse.
FLAVIEN GOURRAUD
Ajouter un commentaire
Commentaires