MON CRIME - FRANÇOIS OZON


Avec Mon crime, François Ozon livre une œuvre éclatante qui parvient à conjuguer les exigences de la comédie dramatique et les ambitions d’un cinéma de pensée. Adapté librement de la pièce de théâtre de Georges Berr et Louis Verneuil, le film trouve dans cette origine scénique une matière qu’Ozon sublime en déployant une mise en scène vive, stylisée, d’une grande intelligence formelle. L’ouverture du film, dans le Paris des années 30, donne le ton : le décor des studios de cinéma, reconstitué avec précision, évoque un monde factice où la vérité est toujours mise en scène — une métaphore évidente mais efficace du propos central du film, sur la fabrication des récits, des rôles sociaux et des figures de pouvoir.

Le duo Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder — respectivement Madeleine Verdier, actrice au chômage accusée d’un meurtre qu’elle n’a pas commis, et Pauline Mauléon, avocate féministe — est éblouissant. Leurs scènes communes regorgent d’une complicité électrisante, où l’ironie et la sincérité cohabitent sans jamais se neutraliser. L’interrogatoire au tribunal, où Madeleine joue sa propre défense comme une pièce de théâtre devant le juge, incarne parfaitement cette porosité entre performance et vérité. Ozon filme cette séquence avec un sens du rythme et du cadre qui rappelle Lubitsch ou même Wilder, tout en insérant subtilement un regard critique sur la manière dont les femmes sont contraintes de se mettre en scène pour exister dans l’espace public.

La mise en scène, construite en écho constant avec les codes du théâtre de boulevard, est d’une précision remarquable. Plans frontaux, lumière théâtralisée, décors stylisés : tout concourt à faire du film un objet volontairement artificiel, mais dont l’artificialité devient langage. On pense notamment à la scène du dîner mondain où tous les personnages, rassemblés autour d’un faux-semblant de convivialité, révèlent par petites touches leur cynisme ou leur duplicité. La caméra d’Ozon, fluide mais toujours placée avec une rigueur mathématique, découpe l’espace avec une élégance qui sert autant le comique que la tension idéologique.

Le féminisme du film ne passe pas seulement par ses dialogues ou ses positions explicites — comme lorsque Pauline plaide en invoquant la double peine faite aux femmes dans la justice patriarcale — mais aussi par sa structure même. Mon crime donne littéralement la parole aux femmes, les met au centre d’un dispositif narratif où elles maîtrisent leur destin, élaborent leur propre mythe et subvertissent les attentes du genre. Ce n’est pas un féminisme plaqué, mais intégré au cœur du récit, incarné dans la dynamique même de la comédie.

 

Seule réserve : l’usage du fond vert dans certaines scènes de studio, notamment au début du film, où l’arrière-plan numérique peine à convaincre et rompt un instant l’élan immersif. Ces rares flottements techniques contrastent avec le soin porté au reste de la direction artistique, notamment les costumes ou les décors du tribunal, d’un raffinement quasi pictural.

Pour conclure, Mon crime est une œuvre brillante, ludique et politiquement affûtée, où Ozon réussit à faire dialoguer le charme du théâtre filmé avec l’exigence du cinéma d’auteur. C’est un film qui rit, qui pense, qui déjoue les règles pour mieux les réinventer — un hommage au pouvoir de la parole et à la ruse de celles qui savent s’en emparer.

FLAVIEN GOURRAUD

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