EUPHORIA - SAM LEVINSON


Avec Euphoria, Sam Levinson compose une œuvre totale, sensorielle et viscérale, qui dépasse les codes du teen drama pour s’imposer comme une expérience esthétique radicale. Plus qu’une série sur l’adolescence, Euphoria est une traversée du chaos intime : addictions, sexualité, identité, violence émotionnelle — tout y est filmé à hauteur de vertige, avec une mise en scène baroque et envoûtante, proche parfois de l’hallucination. Chaque épisode fonctionne comme un tableau mouvant, un éclat de conscience, où la lumière, la musique et le montage fusionnent pour construire un langage propre, celui du trouble, de l’excès, du présent absolu.

Zendaya incarne Rue avec une intensité bouleversante, entre fragilité et rage contenue. Sa performance, souvent en voix off, innerve toute la série : elle est le cœur battant du récit, à la fois témoin et victime de son époque. Mais Euphoria ne repose pas uniquement sur elle. Levinson donne à chacun de ses personnages un espace narratif et visuel singulier : Cassie, Nate, Jules, Kat… tous deviennent les figures d’un théâtre contemporain où les névroses adolescentes sont traitées avec une profondeur quasi tragique. La série excelle à capter cette hyper-conscience générationnelle, où les affects sont surexposés, les corps scrutés, les désirs en état de crise permanente.

Visuellement, la série est une démonstration : éclairages néon, travellings oniriques, ruptures de ton assumées, ralentis presque chorégraphiés — Levinson emprunte aux clips, à la mode, au cinéma d’auteur contemporain (on pense à Noé, Refn, Korine), mais il transcende ses influences par une sincérité brute et une cohérence dramatique rare. L’esthétique ne masque jamais le fond : elle l’exprime. La drogue, le sexe, la solitude ne sont jamais montrés pour choquer, mais pour dire quelque chose du vide que cette génération tente de combler.

Si la série peut parfois être accusée de stylisation outrancière, voire de complaisance, elle parvient néanmoins à garder une lucidité politique et émotionnelle constante. Elle n’excuse pas, elle expose. Et ce faisant, elle redonne une forme à ce que beaucoup de fictions adolescentes avaient désincarné : la douleur réelle d’exister quand tout semble trop fort, trop flou, trop rapide.

Euphoria est un opéra adolescent, une fresque désespérée et sublime, où chaque plan semble vouloir crier ce que les personnages n’arrivent plus à dire. C’est une série de la dissonance, du cri, du repli et du rêve. Une œuvre qui dérange autant qu’elle fascine, parce qu’elle ose montrer l’adolescence non pas comme une transition douce, mais comme un choc permanent avec le monde. Une fiction qui, derrière l’éclat de ses néons, brûle d’une vérité rare.

FLAVIEN GOURRAUD

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.

Créez votre propre site internet avec Webador